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pas U la porte de n'importe qui.
Puis elle se prosterna devant moi. Je ressentis un contentement intense.
Je lui demandai si les villageois allaient venir m'acclamer chez moi ou c'tait moi qui devais aller
marcher dans la rue pour recevoir leurs applaudissements. Nishio-san eut un instant de perplexit
avant de trouver cette rponse :
- C'est l't. Les gens sont partis en vacances. Sinon, ils auraient organis un festival pour toi.
Je me dis que c'tait mieux comme a. Ces festivits m'auraient sans doute lasse. Rien de tel que
l'intimit pour clbrer mon triomphe. Du moment que je recevais mon lphant en peluche, la
journe connatrait le sommet de son faste.
Les parents m'annonc%0ńrent que j'aurais mon cadeau lors du goqter. Hugo et Andr me dirent
qu'exceptionnellement ils s'abstiendraient de m'embęter pendant un jour. Kashima-san ne me dit
rien.
Je passai les heures qui suivirent dans une impatience hallucine. Cet lphant serait le prsent le
plus fabuleux que l'on m'aurait offert de ma vie. Je m'interrogeais sur la longueur de sa trompe et le
poids qu'il aurait dans mes bras.
J'appellerais cet lphant Elphant : ce serait un joli nom pour un lphant.
A quatre heures de l'apr%0ńs-midi, on m'appela. J'arrivai U la table du goqter avec des battements de
cśur de huit degrs sur l'chelle de Richter. Je ne vis aucun paquet. Il devait ętre cach.
Formalits. Gteau. Trois bougies allumes que je soufflai pour expdier a. Chansons.
- Oo est mon cadeau ? finis-je par demander.
Les parents eurent un sourire fut.
- C'est une surprise.
Inquitude :
- Ce n'est pas ce que j'ai demand ?
- C'est mieux !
Mieux qu'un pachyderme en peluche, a n'existait pas. Je prsageai le pire.
- C'est quoi ?
On me conduisit au petit tang de pierre du jardin.
- Regarde dans l'eau.
Trois carpes vivantes s'y battaient.
- Nous avons remarqu que tu avais une passion pour les poissons et en particulier pour les carpes.
Alors nous t'en offrons trois : une par anne. C'est une bonne ide, n'est-ce pas ?
- Oui, rpondis-je avec une politesse consterne.
- La premi%0ńre est orange, la deuxi%0ńme est verte, la troisi%0ńme est argente. Tu ne trouves pas que
c'est ravissant ?
- Si, dis-je en pensant que c'tait immonde.
- C'est toi qui t'occuperas d'elles. On t'a prpar un stock de galettes de riz souffl tu les dcoupes
en petits morceaux et tu les leur jettes, comme a. Tu es contente ?
- Tr%0ńs.
Enfer et damnation. J'aurais prfr ne rien recevoir.
Ce n'tait pas tant par courtoisie que j'avais menti. C'tait parce qu'aucun langage connu n'aurait pu
approcher la teneur de mon dpit, parce qu'aucune expression n'aurait pu arriver U la cheville de ma
dception.
Dans la liste infinie des questions humaines sans rponse, il faut insrer celle-ci : que se passe-t-il
dans la tęte des parents bien intentionns quand, non contenu de se faire sur leurs enfants des ides
ahurissantes, ils prennent U leur place des initiatives ?
Il est d'usage de demander aux gens ce qu'ils voulaient devenir quand ils taient petits. Dans mon
cas, il est plus intressant de poser cette question U mes parents : leurs rponses successives donnent
l'image exacte de ce que je n'ai jamais voulu devenir.
Lorsque j'avais trois ans, ils proclamaient "ma" passion pour l'levage des carpes. Quand j'eus sept
ans, ils annonc%0ńrent "ma" dcision solennelle d'entrer dans la carri%0ńre diplomatique. Mes douze ans
virent crotre leur conviction d'avoir pour rejeton un leader politique. Et lorsque j'eus dix-sept ans,
ils dclar%0ńrent que je serais l'avocate de la famille.
Il m'arrivait de leur demander d'oo leur venaient ces ides tranges. A quoi ils me rpondaient,
toujours avec le męme aplomb, que "a se voyait" et que "c'tait l'avis de tout le monde". Et quand
je voulais savoir qui tait "tout le monde", ils disaient :
- Mais tout le monde, enfin !
Il ne fallait pas contrarier leur bonne foi.
Revenons U mes trois ans. Puisque mon p%0ńre et ma m%0ńre avaient pour moi des ambitions dans la
pisciculture, je m'appliquai, par bienveillance filiale, U mimer les signes extrieurs de l'ichtyophilie.
Avec mes crayons de couleur, dans mes carnets U dessins, je me mis U crer des poissons par
milliers, avec nageoires grandes, petites, multiples, absentes, cailles vertes, rouges, bleues U pois
jaunes, orange U rayures mauves.
- Nous avons eu raison de lui offrir les carpes ! disaient les parents ravis en regardant mes oeuvres.
Cette histoire eqt t comique s'il n'y avait eu mon devoir quotidien de nourrir cette faune
aquatique.
J'allais dans la remise chercher quelques galettes de riz souffl. Puis, debout au bord de l'tang de
pierre, j'effritais cet aliment agglomr et jetais U l'eau des morceaux au calibre du pop-corn.
C'tait plutt rigolo. Le probl%0ńme, c'taient ces sales bętes de carpes qui venaient alors U la surface,
gueules ouvertes, pour prendre leur casse-croqte.
La vision de ces trois bouches sans corps qui mergeaient de l'tang pour bouffer me stupfiait de
dgoqt.
Mes parents, jamais U court d'une bonne ide, me dirent :
- Ton fr%0ńre, ta sśur et toi, vous ętes trois, comme les carpes. Tu pourrais appeler l'orange Andr, la
verte Juliette, et l'argente porterait ton nom.
Je trouvai un prtexte gentil pour viter ce dsastre onomastique.
- Non. Hugo serait triste.
- C'est vrai. Nous pourrions acheter une quatri%0ńme carpe ?
Vite, inventer quelque chose, n'importe quoi.
- Non. Je leur ai djU donn des noms.
- Ah. Et comment les as-tu appeles ?
"Qu'est-ce qui va par trois, djU ?" me demandai-je U la vitesse de l'clair. Je rpondis :
- Jsus, Marie et Joseph.
- Jsus, Marie et Joseph ? lu ne penses pas que ce sont des drles de noms, pour des poissons ?
- Non, affirmai-je.
- Et qui est qui ?
- L'orange est Joseph, la verte est Marie, l'argente est Jsus.
Ma m%0ńre finit par rire U l'ide d'une carpe qui s'appelait Joseph. Mon baptęme fut accept.
Chaque jour, U midi, au moment oo le soleil tait au plus haut dans le ciel, je pris l'habitude de
venir nourrir la trinit. Prętresse piscicole, je bnissais la galette de riz, la rompais et la lanais U la
flotte en disant :
- Ceci est mon corps livr pour vous.
Les sales gueules de Jsus, Marie et Joseph rappliquaient U l'instant. En un grand fracas d'eau
fouette U coups de nageoires, ils se jetaient sur leur pitance, ils se battaient pour avaler le plus
possible de ces crottes de bouffe.
Etait-ce si bon que a, pour justifier de telles disputes ? Je mordis dans cette esp%0ńce de frigolite : a
n'avait aucun goqt. Autant manger de la pte U papier.
Pourtant, il fallait voir comme ces andouilles de poissons s'affrontaient pour cette manne qui,
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